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L’Europe face au désordre stratégique international (3/3)

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Le mercredi 6 avril, l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) organisait une journée de conférences centrées sur l’Europe. Nous avons déjà abordé la première table-ronde intitulée : Schengen, Brexit, euroscepticisme, extrémismes : comment ranimer le débat démocratique européen ? et la seconde table-ronde qui traitait du rôle de l’Union européenne sur les scènes régionale et internationale. Place désormais à la troisième table-ronde qui s’intitulait : Vers une stratégie de défense européenne.

L'Europe parviendra-t-elle à construire une stratégie de défense commune suffisamment solide pour faire face aux défis et aux menaces qui pèsent sur elle ?
L’Europe parviendra-t-elle à construire une stratégie de défense commune suffisamment solide pour faire face aux défis et aux menaces qui pèsent sur elle ?

Michèle Alliot-Marie, députée européenne et ancienne ministre de la défense, prenait tout d’abord la parole. Elle rappelle qu’en 2002 déjà, lorsqu’elle prend ses fonctions de ministre de la défense, Jacques Chirac lui fixe 3 priorités dont la construction d’une défense européenne. Or, aujourd’hui nous avons encore plus besoin d’une défense européenne car nous sommes confrontés à des défis urgents. Avec la chute du mur de Berlin, nous n’avons pas touché les dividendes de la paix. Au contraire, les crises et les menaces se sont multipliées aux portes de l’Europe : prolifération des zones grises (Irak, Syrie, Libye, Sahel, Ukraine orientale) sur fond de crise migratoire qui ne fait que commencer. En outre, nous assistons au retour de conflits de plus long terme à propos de l’accès aux denrées alimentaires, à l’eau, aux ressources énergétiques et stratégiques.

L’UE a la nécessité de continuer à peser sur la scène internationale sinon la Chine, l’Inde et plus tard d’autres pays émergents imposeront leur politique. Mais l’UE ne pourra pas continuer à peser si elle demeure une puissance strictement économique. Elle doit devenir une puissance politique et diplomatique. Or, il n’y a pas de diplomatie digne de ce nom sans défense. C’est pourquoi il est indispensable de former une structure européenne de géostratégie et de prospective. De plus, opposer l’OTAN à l’Europe de la défense n’a pas de sens. L’OTAN est une machine lourde (beaucoup d’hommes et de matériel…) tandis que l’Europe est un commando plus rapide, plus souple, plus réactif, idéal pour agir vite en cas de crise. Il y a donc une complémentarité à articuler et à engager entre la défense européenne et l’OTAN. Mais il faut y mettre l’argent. Le Royaume-Uni fait d’ailleurs beaucoup d’effort avec la France et l’Allemagne pour la défense. Par contre, d’autres pays européens sont hypocrites et se comportent en passager clandestin.

Michèle Alliot-Marie préconise alors de fixer un pourcentage minimum accordé au budget de défense pour tous les pays de l’Union européenne (de l’ordre de 1,8 à 2% du PIB). L’argent serait utilisé en privilégiant les armements européens afin de garantir l’indépendance stratégique de l’Europe et préserver les emplois de l’industrie de défense européenne. En outre, l’Europe pâtit d’un manque de diffusion de la culture stratégique malgré les efforts d’organismes comme l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN). Sur ce plan, les Etats-Unis sont largement en avance sur les Européens notamment grâce à la collaboration étroite entre Hollywood et le Pentagone. Nous construirons l’Europe de la défense en multipliant les opérations pour faire converger les politiques étrangères des Etats européens.

Joachim Bitterlich, ancien ambassadeur allemand, poursuit. Selon lui, l’UE est boiteuse car elle possède une tactique mais pas de stratégie. Il propose une nouvelle feuille de route en 5 points à l’horizon 2020 : 1) l’appréciation qui regroupe l’analyse stratégique et le partage de renseignement, 2) la planification : il faut adapter les structures de nos armées pour qu’elles soient compatibles, 3) l’armement : penser en commun et avoir une industrie européenne, 4) la mutualisation : spécialisation des uns et des autres et 5) le commandement : avoir des procédures communes.

Emilio Lamo de Espinosa, président du Real Institut Elcano, affirme à son tour que le monde est multipolaire mais non multilatérale. Nous n’avons pas d’instrument de gestion et de gouvernance mondiale alors que les défis sont globaux. Du fait du retrait américain, nous n’avons ni G20, ni G2 mais un G0. Pour lui, beaucoup d’Etats européens ont une approche naïve de la géostratégie car nous ne pouvons pas devenir la Suisse du monde. Notre soft power est menacé. Il faut arrêter de croire au modèle westphalien qui est dépassé. Pourquoi entretenir 28 mini armées constituées pour protéger leurs petits territoires contre une hypothétique tentative d’invasion du voisin ? Il est temps de repenser notre stratégie globale en tenant compte des différences colossales qui existent de part et d’autre de la Méditerranée : démographique, politique, économique, culturelle, historique, de sécurité. La tâche la plus urgente est la répartition des migrants ainsi que la prévention à la source en renforçant la sécurité dans les pays d’Afrique. Nous sommes entourés d’un anneau de feu et cherchons désespérément des alliés. L’Europe doit se tourner vers ses alliés oubliés : les pays d’Amérique du Sud. Et de conclure : « Aujourd’hui dans l’Europe et son voisinage, nous avons trop de crises et trop peu de leadership ».

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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